Le canal Rhin-Rhône :
le canal de l'absurde
Sommaire:
Agrandissez
la carte topo
La liaison Rhin-Rhône a pour but de mettre à grand gabarit
la liaison fluviale sur la Saône et le Doubs, permettant ainsi
aux convois de 4 400 tonnes de relier le Rhône au Rhin, et,
par là d'assurer la liaison Mer du Nord - Méditerranée
(Rotterdam - Marseille).
Ce projet controversé, qui est redevenu d'actualité
sous la pression de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) et
du gouvernement Juppé, date en réalité de plus
de trente ans. Mais la concrétisation de cette voie navigable
a été reportée d'année en année
par les gouvernements successifs qui ont hésité à
engager des sommes très importantes dans un équipement
dont plusieurs études ont démontré la faible
viabilité économique.
L'objectif est donc de faire naviguer des convois de 190 mètres
de long, 12 mètres de large, 3,50 mètres de tirant d'eau
et 7 mètres de tirant d'air (hauteur sous les ponts) sur l'ensemble
de l'axe entre Marseille et le Rhin. Ces convois emprunteraient le
Rhône, fleuve puissant (1500 m3/s à l'aval de Lyon) puis
son affluent, la Saône (400 m3/s), puis le Doubs (100 m3/s mais
en été les étiages peuvent atteindre 5 m3/s seulement)
puis un affluent du Doubs (7 m3/s)... On en viendrait donc à
mettre nos cours d'eau à la dimension des barges alors que
la loi sur l'eau de 1992 - et la logique ! - oblige à faire
l'inverse : adapter les usages aux potentialités des rivières.
De plus, le problème de l'alimentation du canal n'est pas
résolu : en année normale, la navigation serait compromise
au moins un mois par an, 3 mois en année sèche. Si les
projets de grands barrages de soutien d'étiage dans le Haut
Doubs semblent abandonnés, une autre solution est préconisée
: pomper l'eau du Rhin, la faire remonter jusqu'au bief de partage
et la faire redescendre dans la vallée du Doubs...
Le projet de la CNR :
un énorme chantier en Alsace, Franche-Comté et Bourgogne
- 229 km de canalisation entre la Saône et le Doubs, dont
la rectification du Doubs sur 169 km
- 58 km de méandres recoupés sur le Doubs
- Construction de 24 écluses et 15 barrages mobiles (98 km
de retenues au total) pour escalader le seuil de Belfort, haut de
160 mètres. La plus importante des écluses atteindrait
la hauteur d'un immeuble de 8 étages !
- Déplacement de 14 stations de pompage
- Disparition de 4700 hectares de terres agricoles
- Destruction et reconstruction de 91 à 94 ponts routiers
et 11 ponts ferroviaires
- Construction d'un tunnel sous la citadelle de Besançon
- Destruction de 50% des zones humides existantes sur le parcours
- Production de 75 millions de m3 de déblais dont la moitié
devrait trouver un site de stockage
- Les travaux concernent 5 départements et 148 communes riveraines.
- Coût des travaux: - estimation 1970 : 1,8 milliard de francs
- estimation 1996 selon l'Inspection des Finances : 23 milliards
de francs (hors TVA, hors intérêts des prêts).
En prenant en compte la TVA et les coûts des intérêts
intercalaires, l'Inspection des Finances chiffre le coût total
des travaux à 49,3 milliards de francs, ce qui confirme l'estimation
de la coordination Saône-Doubs vivants - Sundgau vivant -
WWF, qui évalue le projet à environ 50 milliards de
francs. Ce chiffre ne prend néanmoins pas compte de la dérive
des coûts classique dans ce genre d'infrastructure lourde.
De plus, Rhin-Rhône n'est pas le dernier maillon de la liaison
Mer du Nord - Méditerranée : de nombreux autres travaux
resteraient à entreprendre, comme l'adaptation au nouveau gabarit
des ponts sur la Saône à Lyon et la reconstruction du
tunnel qui relie Marseille au Rhône. Ces travaux ne sont pas
chiffrés dans le projet de grand canal !
La demande de transport par voie fluviale est en baisse. Les pays
voisins, qui ont un réseau bien supérieur à celui
de la France, prévoient une diminution régulière
du transport fluvial dans l'avenir. Ce mode de transport qui a atteint
30% en Allemagne, ne représente plus que 20% à l'heure
actuelle. De plus, si le transport fluvial est facilité en
Europe du Nord par le relief, il est discutable de vouloir créer
un canal là où où le relief semi-montagneux nécessite
la construction de nombreuses écluses qui ralentissent considérablement
le trafic. Enfin, aucun transporteur n'a jamais songé à
utiliser un bateau fluvial pour relier Rotterdam à Marseille
: si la liaison par mer via Gibraltar est plus longue en kilomètres,
elle est 10 fois moins chère et 3 fois plus rapide !
Les estimations du trafic pour l'année 2020, fondées
sur la projection d'un doublement du trafic nord-sud tous modes de
transport confondus, oscillent entre 10 et 13 millions de tonnes/an
selon la Compagnie Nationale du Rhône, promoteur du projet,
et 4 et 5 millions selon les autorités publiques. Le trafic
actuel sur le canal Freycinet assurant la liaison Saône-Rhin
pour des péniches de 250 tonnes est de 80 000 tonnes par an.
Dans les régions concernées, où la voie d'eau
n'est ni ramifiée, ni adaptée aux marchandises locales,
le canal ne représente pas une alternative sérieuse
à la route. Selon une étude de l'OEST (Observatoire
Economique et Statistique des Transports du Ministère de l'Equipement),
1% seulement du trafic routier serait capté par ce type d'aménagement.
Selon l'Inspection Générale des Finances, le canal,
une fois construit, aurait un déficit d'exploitation de l'ordre
100 millions de francs par an.
La véritable alternative à la route est le rail qui,
lui, existe déjà : l'axe Lyon-Mulhouse est loin d'être
saturé. Des plates-formes multimodales (rail-route-eau) en
Alsace et en Bourgogne permettraient de faire le lien entre le Rhin
et le Rhône par le rail à moindre coût et plus
rapidement. D'autre part, pour les échanges commerciaux à
l'échelle régionale, les transporteurs disposent déjà
du canal Freycinet qui est adapté au milieu géographique
et permet à des péniches de transporter jusqu'à
400 tonnes.
Une voie d'eau à grand gabarit est une infrastructure lourde.
Elle emprunte généralement le lit de fleuves et de rivières,
qui doit être creusé, redressé, calibré
et canalisé. Ces transformations représentent une atteinte
irrémédiable à la vie des cours d'eau. Le Rhin,
le Rhône, la Moselle ou la récente liaison
Rhin-Main-Danube en sont des exemple frappants. Les problèmes
engendrés par les travaux sur le Rhin sont si graves qu'on
tente aujourd'hui de faire machine arrière en lançant
un programme de " renaturation ". En fait, la réalisation
de voies d'eau à grand gabarit n'est acceptable que dans des
contextes géographiques adaptés, ne nécessitant
que peu de barrages, c'est-à-dire dans des régions à
faible relief et riches en eau. C'est le cas du nord-ouest européen.
Ce n'est pas le cas de la vallée du Doubs !
Les impacts écologiques sont les suivants :
- menace directe sur l'approvisionnement en eau potable de 500 000
habitants : la canalisation isole la rivière de la nappe phréatique
et entraîne donc une diminution de la nappe et, par conséquent,
une réduction de l'approvisionnement en eau ; de nombreux captages,
voire plus, seraient donc menacés ;
- fragilisation de l'écosystème : l'endiguement d'un
cours d'eau et le ralentissement du courant qui s'ensuit détruit
ses capacités de régénération ; supprimer
les plaines alluviales revient à se priver de leur fonction
d'auto-épuration, rendant ainsi la rivière plus sensible
aux pollutions ;
- eutrophisation (pollution organique engendrant un déficit
d'oxygène) ;
- appauvrissement de la faune, notamment des espèces les
plus nobles de poissons ;
- aggravation des inondations à l'aval sur la Saône,
avec notamment un risque de concordance des crues sur la Loue et le
Doubs : le Doubs serait raccourci de 54 km par la rectification des
méandres et les flux considérablement accélérés.
Or, actuellement les crues de la Loue atteignent la confluence avec
le Doubs avec près de 10 heures d'avance. Le canal réalisé,
les deux pics de crues pourraient arriver en même temps, augementant
très sérieusement les risques à l'aval et dans
le val de Saône.
Les universitaires spécialisés dans les écosystèmes
fluviaux sont formels : aucune " mesure compensatoire "
ne peut corriger les aspects destructeurs d'un tel projet.
Les paysage du Val de Saône et de la région du Doubs
sont rares. Ils attirent depuis toujours une importante clientèle
touristique : pêcheurs, plaisanciers ou simples amoureux de
la nature.
Depuis 5 ans, le développement du tourisme fluvial sur les
canaux de Bourgogne et de Franche-Comté est devenu un atout
économique majeur, suscitant la création de nombreux
emplois. Parmi les 38 000 plaisanciers accueillis en 1989, 66% étaient
des étranger à fort pouvoir d'achat, qui affirmaient
être avant tout attirés par la qualité de l'espace
naturel, le calme et l'harmonie des paysages. En détruisant
à tout jamais ces paysages, la canalisation de la Saône
et du Doubs serait catastrophique pour cette activité naissante
dans laquelle les collectivités locales ont largement investi
ces dernières années.
SUITE Canal Rhin
Rhone
Ces pages et leur contenu sont © Copyright de European Rivers
Network.
Pour plus d'informations, des remarques ou des propositions, n'hésitez
pas à nous envoyer
un message
|