Le projet de transfert Rhône-Barcelone

Article dans El Mundo (de Catalogne)

03.02.03.


ENTREVUE avec Jean-Pierre BRUNEL,
Président de Bas Rhône Languedoc - BRL

"Chirac appuie le transfert
et il suffit seulement que Aznar le demande"

PAR MANEL MANCHON

(Traduction Valérie Valette / ERN)

Nîmes : Philippe Lamour fut un activiste anti-faciste, un combattant amoureux du Languedoc-Roussillon, bien qu'il soit du Nord de la France. L'oeuvre de sa vie est l'entreprise BRL, Bas-Rhône-Languedoc, qui exploite un canal, concession de l'Etat français, qui distribue l'eau du Rhône pour toute la région. Le canal, comme d'autres institutions importantes à Nîmes, dont un lycée, porte son nom.

Le président du directoire de BRL est Jean-Pierre Brunel, qui est convaincu de la viabilité technique et économique du projet de transfert du Rhône en Catalogne. BRL, au capital public et privé, constitua en 1997 une société filiale pour lancer rapidement le transfert, dénommée SEPA LRC, qui compte neuf grands groupes français pour promouvoir et réaliser le projet.

L'entreprise peut détourner l'eau du Rhône jusqu'à 75m3, tandis que le fleuve dispose d'un débit de 1 700m3/s. Le gouvernement de la Generalitat espère après le transfert, depuis que le Plan Hydrologique National a été approuvé. Le plan d'Artur Mas est d'extraire seulement 577 hm3 des 1 050 prévus dans le PHN, et de transvaser du Rhône 473 jm3. Brunel assure que le président français, Jacques Chirac, "appuie le projet" et qu'il suffit seulement que "José-Maria Aznar le demande".

- Le projet du transfert du Rhône est il rentable économiquement et viable techniquement ?

- Nous possédons une concession de 75 m3/s du Rhône, que nous utilisons seulement partiellement et nous avons la possibilité de bénéficier en Espagne d'infrastructures déjà existantes. Le projet n'entraine pas d'agression écologique, et évite les démolitions, par exemple. Il est techniquemen possible, et pour un coût rentable. Il n'est pas pharaonique, comme certains l'ont dit. Il s'agit de quelques 100 millions d'euros, ce qui est le coût de réalisation d'une autororoute importante. Ce serait une canalisation de 320 kms qui est totalement rentable.

- Existent-ils des contacts entre BRL et le gouvernement catalan et espagnol ?

- J'ai personnellement eu des contacts avec les différents conseillers de l'Environnement de la Generalitat, avec Ramon Espalder, avec Felip Puig, et auparavant avec des conseillers de Politique Territorial, Pere Macias et Artur Mas lui-même, et par-là donc, avec Jordi Pujol. En Catalogne, je crois qu'il existe la conviction que le transfert du Rhône peut être la solution définitive au déficit d'eau dans la zone de Barcelone. A Madrid, nous avons des contacts avec le cabinet de José-Maria Aznar et avec le Ministère de l'Environnement, que dirige Jaume Matas. Ces contacts avec le Gouvernement espagnol ont consisté en échange d'information. Ils ont écouté notre projet et nous pouvons dire que nous travaillons avec le Ministère de l'Environnement.

- Mais le gouvernement espagnol défend le PHN et rejette le transfert du Rhône.

- Je crois que nous sommes passés d'une situation où le Gouvernement espagnol ne connaissait pas très bien le projet à une autre situation, où il le connait très bien. Et la question est de voir comment combiner ce projet avec le PHN. J'ai la conviction qu'il y a une disposition réelle du Gouvernement à étudier la disposition annexe neuvième du PHN qui prévoit d'étudier d'autres alternatives au transfert de l'Ebre. Ils sont en train de l'étudier réellement. Et ce qu'ils nous ont demandé est que nous rentrions dans la méthodologie du PHN, c'est à dire, d'introduire le transfert du Rhône à l'intérieur du cadre du PHN.

- Une étude de la Chambre Régionale des Comptes du Languedoc-Roussillon, a relevé que le projet de transfert à Barcelone serait la sortie financière pour la BRL, qui se trouve dans une situtation de crise.

- Il est vrai que si nous vendons un volume d'eau important, nous amortirons mieux les infrastructures que nous possédons, et qui ne sont pas suffisamment utilisées. Ce projet, cependant, n'est pas lancé pour sauver la BRL. L'entreprise n'a pas de problèmes financiers, ceci doit être clair. Nous finissons de terminer une augmentation de capital, qui a épongé 72 millions d'euros de dettes que nous avions (500 millions de francs). Selon les propres informations du Ministère des Finances français, BRL n'a pas de problèmes financiers qui conduisent de manière obligatoire à faire ce projet. Le rapport dont vous parlez date de 2 ans. Et il est vrai qualors, nous avions une situation financière fragile. Maintenant, la situation est solide. Notre activité est centrée dans la région Languedoc-Roussillon, et maintenant nous vendons un peu moins d'eau destinée à l'agriculture, mais nous vendons pour couvrir les besoins en eau potable qui se sont créés, car cette région grandira de 30% dans les prochaines 30 années. Et la BRL est préparée à subvenir à ces nouvelles demandes. Nous défendons le projet parce qu'il ne paraît pas logique de ne pas utiliser des ressources existantes quand, de l'autre côté des Pyrénnées, il existe une situation de déficit structurel. Refuser ce projet, c'est gaspiller des ressources dans le processus de construction européenne.

- Une autre des critiques, avancées par des experts et des scientifiques qui avaient collaboré avec la BRL, comme Michel Drain ou Bernard Barraqué, est que le projet est au service de grandes entreprises, comme le constructeur Bouygues, qui désirent construire des cours de golf dans l'arc méditerranéen.

- Ceci me parait totalement démagogique. Si ce projet se réalise, il est logique que s'y intéressent les entreprises qui peuvent l'entreprendre. L'intérêt de Bouygues s'explique par la participation de sa filiale, SAUR, dans notre capital. Mais la question qui doit être clair est que ce sont les autorités catalanes qui se sont intéressées à notre activité et qui sont venues nous voir. L'intérêt, ensuite, de différentes entreprises me paraît logique.

- Vous ne pariez pas pour une Nouvelle Culture de l'Eau, que défendent certains partis politiques catalans, comme ICV, ERC, et les propres experts scientifiques français que vous aviez nommés avant ?

- Il s'agit d'une question de sens commun. Il est vrai qu'il faut économiser l'eau et que cette politique doit être prioritaire. Les agriculteurs, disent-ils, gaspillent l'eau. Et les agriculteurs espagnols concrêtement, par leur propre système d'irrigation, gaspillent l'eau, mais de façon minime. Les détracteurs du projet disent qu'il est perdu 40% d'eau dans la zone de Barcelone, de l'eau qui se perd de différentes façons. Mais à Barcelona, comme dans d'autres grandes villes, et selon toutes les études sérieuses qui existent, la perte est seulement de 7 ou 8%. Il est certain que nous devons aller vers une Nouvelle Culture de l'Eau, mais nous n'économiserons jamais assez pour pourvoir donner un service aux besoins d'une économie qui se développe et d'une population qui s'accroit. Ils nous ont accusé d'être optimistes sur l'augmentation de population de Barcelone. Mais en 2002, nous constatons que les chiffres réels coïncident avec les prévisions que nous avions faites pour 2005. Nous ne parlons pas seulement de la ville de Barcelone, mais de toute la zone urbaine de Barcelone. Je répète qu'il est démagogique de dire que l'eau ira aux cours de golf. Ils se créeront dans les zones touristiques, si on le désire, mais nous sommes en train de parler de la zone de Barcelone.

- Vous avez parlé avec les autorités françaises ? La France approuverait le transfert du Rhône vers Barcelone ?

- Nous avons une réponse à notre projet du Président de la République, Jacques Chirac, après l'avoir consulté, et la réponse de Chirac a été positive. En 2001, il a évoqué de façon privée son appui pour le projet à Perpignan. S'il y a une demande de l'Espagne vers la France, elle sera accueillie de façon positive. Actuellement, la position du Gouvernement français est la France ne doit pas être celle qui propose le projet, mais d'attendre que l'Espagne ait besoin du transfert et le demande. La France ne veut d'aucune manière apparaître comme la partie qui force l'Espagne à prendre une décision. La question est très claire.

- En Catalogne, c'est le CIU (parti Convergencia Y Union, au pouvoir) qui défend le transfert du Rhône, mais dans tous les sondages publiés jusqu'à maintenant, le gagnant des prochaines élections autonomes pourrait être le socialiste Pasqual Maragall, qui n'a pas montré un intérêt particulier. Etes-vous en contact avec les socialistes catalans ?

- Nous avons reçu des appels de maires socialistes, du conseil d'administration de ATTL (Cie des Eaux des Ter-Llobregat) et nous constatons qu'ils ont la même position que celle des dirigeants de CIU. Ce qu'ils nous disent est qu'ils ont les mêmes demandes que celles du Gouvernement de la Generalitat et ils nous demandent à voir le Rhône. Il est vrai que Maragall, qui connait très bien le projet, ne s'est pas prononcé clairement, mais les maires socialistes, qui sont ceux qui gèrent les citadins, ont montré leur intérêt. Mais nous ne prenons parti ni pour les uns, ni pour les autres.

"Le Gouvernement espagnol nous a consulté"

- Comment estimez-vous la disposition annexe neuvième introduite par le CIU dans le PHN, qui fait référence à l'étude de transferts alternatifs à celui de l'Ebre, et qui, selon l'opposition, serait seulement une opération d'image pour justifier l'appui du CIU au projet du Gouvernement ?

- Cette disposition nous a permis d'entrer en contact avec le Ministre de l'Environnement. Elle a réellement eut un effet. Ce que je constate est que le Gouvernement espagnol nous a consulté pour étudier et essayer d'assimiler notre projet de transvasement dans le cadre du PHN, qui, à son tour, décide du transfert de l'Ebre. Je crois que c'est une disposition qui peut être déterminante.

- Comment serait financé le projet du Rhône ? BRL possède du capital public et privé. Vous recevriez des aides et des subventions des institutions européennes ?

- Le projet peut être financé par des fonds européens et privés, ou seulement par la banque privée. Nous aurions des entreprises disposées à entrer dans l'opération. Nous avons des contacts avec la Banque Européenne de Placements, qui a co-financé 50% des études économiques et financières sur le projet. Nous comptons également avec la participation de la Caisse de Catalogne (Caix de Catalunya) et la Caisse des Dépôts et Consignations française. Il n'y aura pas de problèmes, pour autant, à être une entreprise à capital mixte.

- Des collectifs, comme les agriculteurs des Pyrénnées Orientales, se sont montrés opposés au transfert. BRL mettrait des conditions sur l'utilisation de l'eau ?

- La concurrence des agriculteurs français et espagnols ne porte pas sur la question de l'eau, mais sur le meilleur coût de personnel, en ce qui concerne la partie française. Actuellement, l'eau, qui serait, peut-être, plus chère, est destinée à la zone de Barcelone, pour sa population et pour le développement de son industrie, pour l'économie catalane.

(Cette traduction ERN n'a pas valeur de document officiel
et ne saurait engager notre responsabilité de quelque manière que ce soit.)


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