ENTREVUE
avec Jean-Pierre BRUNEL,
Président de Bas Rhône Languedoc - BRL
"Chirac
appuie le transfert
et il suffit seulement que Aznar le demande"
PAR
MANEL MANCHON
(Traduction
Valérie Valette / ERN)
Nîmes
: Philippe Lamour fut un activiste anti-faciste, un combattant amoureux
du Languedoc-Roussillon, bien qu'il soit du Nord de la France. L'oeuvre
de sa vie est l'entreprise BRL, Bas-Rhône-Languedoc, qui exploite
un canal, concession de l'Etat français, qui distribue l'eau
du Rhône pour toute la région. Le canal, comme d'autres
institutions importantes à Nîmes, dont un lycée,
porte son nom.
Le président
du directoire de BRL est Jean-Pierre Brunel, qui est convaincu de la
viabilité technique et économique du projet de transfert
du Rhône en Catalogne. BRL, au capital public et privé,
constitua en 1997 une société filiale pour lancer rapidement
le transfert, dénommée SEPA LRC, qui compte neuf grands
groupes français pour promouvoir et réaliser le projet.
L'entreprise peut
détourner l'eau du Rhône jusqu'à 75m3, tandis que
le fleuve dispose d'un débit de 1 700m3/s. Le gouvernement de
la Generalitat espère après le transfert, depuis que le
Plan Hydrologique National a été approuvé. Le plan
d'Artur Mas est d'extraire seulement 577 hm3 des 1 050 prévus
dans le PHN, et de transvaser du Rhône 473 jm3. Brunel assure
que le président français, Jacques Chirac, "appuie
le projet" et qu'il suffit seulement que "José-Maria
Aznar le demande".
- Le projet du
transfert du Rhône est il rentable économiquement et viable
techniquement ?
- Nous possédons une concession de 75 m3/s du Rhône,
que nous utilisons seulement partiellement et nous avons la possibilité
de bénéficier en Espagne d'infrastructures déjà
existantes. Le projet n'entraine pas d'agression écologique,
et évite les démolitions, par exemple. Il est techniquemen
possible, et pour un coût rentable. Il n'est pas pharaonique,
comme certains l'ont dit. Il s'agit de quelques 100 millions d'euros,
ce qui est le coût de réalisation d'une autororoute importante.
Ce serait une canalisation de 320 kms qui est totalement rentable.
- Existent-ils
des contacts entre BRL et le gouvernement catalan et espagnol ?
- J'ai personnellement
eu des contacts avec les différents conseillers de l'Environnement
de la Generalitat, avec Ramon Espalder, avec Felip Puig, et auparavant
avec des conseillers de Politique Territorial, Pere Macias et Artur
Mas lui-même, et par-là donc, avec Jordi Pujol. En Catalogne,
je crois qu'il existe la conviction que le transfert du Rhône
peut être la solution définitive au déficit d'eau
dans la zone de Barcelone. A Madrid, nous avons des contacts avec le
cabinet de José-Maria Aznar et avec le Ministère de l'Environnement,
que dirige Jaume Matas. Ces contacts avec le Gouvernement espagnol ont
consisté en échange d'information. Ils ont écouté
notre projet et nous pouvons dire que nous travaillons avec le Ministère
de l'Environnement.
- Mais le gouvernement
espagnol défend le PHN et rejette le transfert du Rhône.
- Je crois que nous
sommes passés d'une situation où le Gouvernement espagnol
ne connaissait pas très bien le projet à une autre situation,
où il le connait très bien. Et la question est de voir
comment combiner ce projet avec le PHN. J'ai la conviction qu'il y a
une disposition réelle du Gouvernement à étudier
la disposition annexe neuvième du PHN qui prévoit d'étudier
d'autres alternatives au transfert de l'Ebre. Ils sont en train de l'étudier
réellement. Et ce qu'ils nous ont demandé est que nous
rentrions dans la méthodologie du PHN, c'est à dire, d'introduire
le transfert du Rhône à l'intérieur du cadre du
PHN.
- Une étude
de la Chambre Régionale des Comptes du Languedoc-Roussillon,
a relevé que le projet de transfert à Barcelone serait
la sortie financière pour la BRL, qui se trouve dans une situtation
de crise.
- Il est vrai que
si nous vendons un volume d'eau important, nous amortirons mieux les
infrastructures que nous possédons, et qui ne sont pas suffisamment
utilisées. Ce projet, cependant, n'est pas lancé pour
sauver la BRL. L'entreprise n'a pas de problèmes financiers,
ceci doit être clair. Nous finissons de terminer une augmentation
de capital, qui a épongé 72 millions d'euros de dettes
que nous avions (500 millions de francs). Selon les propres informations
du Ministère des Finances français, BRL n'a pas de problèmes
financiers qui conduisent de manière obligatoire à faire
ce projet. Le rapport dont vous parlez date de 2 ans. Et il est vrai
qualors, nous avions une situation financière fragile. Maintenant,
la situation est solide. Notre activité est centrée dans
la région Languedoc-Roussillon, et maintenant nous vendons un
peu moins d'eau destinée à l'agriculture, mais nous vendons
pour couvrir les besoins en eau potable qui se sont créés,
car cette région grandira de 30% dans les prochaines 30 années.
Et la BRL est préparée à subvenir à ces
nouvelles demandes. Nous défendons le projet parce qu'il ne paraît
pas logique de ne pas utiliser des ressources existantes quand, de l'autre
côté des Pyrénnées, il existe une situation
de déficit structurel. Refuser ce projet, c'est gaspiller des
ressources dans le processus de construction européenne.
- Une autre des
critiques, avancées par des experts et des scientifiques qui
avaient collaboré avec la BRL, comme Michel Drain ou Bernard
Barraqué, est que le projet est au service de grandes entreprises,
comme le constructeur Bouygues, qui désirent construire des cours
de golf dans l'arc méditerranéen.
- Ceci me parait
totalement démagogique. Si ce projet se réalise, il est
logique que s'y intéressent les entreprises qui peuvent l'entreprendre.
L'intérêt de Bouygues s'explique par la participation de
sa filiale, SAUR, dans notre capital. Mais la question qui doit être
clair est que ce sont les autorités catalanes qui se sont intéressées
à notre activité et qui sont venues nous voir. L'intérêt,
ensuite, de différentes entreprises me paraît logique.
- Vous ne pariez
pas pour une Nouvelle Culture de l'Eau, que défendent certains
partis politiques catalans, comme ICV, ERC, et les propres experts scientifiques
français que vous aviez nommés avant ?
- Il s'agit d'une
question de sens commun. Il est vrai qu'il faut économiser l'eau
et que cette politique doit être prioritaire. Les agriculteurs,
disent-ils, gaspillent l'eau. Et les agriculteurs espagnols concrêtement,
par leur propre système d'irrigation, gaspillent l'eau, mais
de façon minime. Les détracteurs du projet disent qu'il
est perdu 40% d'eau dans la zone de Barcelone, de l'eau qui se perd
de différentes façons. Mais à Barcelona, comme
dans d'autres grandes villes, et selon toutes les études sérieuses
qui existent, la perte est seulement de 7 ou 8%. Il est certain que
nous devons aller vers une Nouvelle Culture de l'Eau, mais nous n'économiserons
jamais assez pour pourvoir donner un service aux besoins d'une économie
qui se développe et d'une population qui s'accroit. Ils nous
ont accusé d'être optimistes sur l'augmentation de population
de Barcelone. Mais en 2002, nous constatons que les chiffres réels
coïncident avec les prévisions que nous avions faites pour
2005. Nous ne parlons pas seulement de la ville de Barcelone, mais de
toute la zone urbaine de Barcelone. Je répète qu'il est
démagogique de dire que l'eau ira aux cours de golf. Ils se créeront
dans les zones touristiques, si on le désire, mais nous sommes
en train de parler de la zone de Barcelone.
- Vous avez parlé
avec les autorités françaises ? La France approuverait
le transfert du Rhône vers Barcelone ?
- Nous avons une
réponse à notre projet du Président de la République,
Jacques Chirac, après l'avoir consulté, et la réponse
de Chirac a été positive. En 2001, il a évoqué
de façon privée son appui pour le projet à Perpignan.
S'il y a une demande de l'Espagne vers la France, elle sera accueillie
de façon positive. Actuellement, la position du Gouvernement
français est la France ne doit pas être celle qui propose
le projet, mais d'attendre que l'Espagne ait besoin du transfert et
le demande. La France ne veut d'aucune manière apparaître
comme la partie qui force l'Espagne à prendre une décision.
La question est très claire.
- En Catalogne,
c'est le CIU (parti Convergencia Y Union, au pouvoir) qui défend
le transfert du Rhône, mais dans tous les sondages publiés
jusqu'à maintenant, le gagnant des prochaines élections
autonomes pourrait être le socialiste Pasqual Maragall, qui n'a
pas montré un intérêt particulier. Etes-vous en
contact avec les socialistes catalans ?
- Nous avons reçu
des appels de maires socialistes, du conseil d'administration de ATTL
(Cie des Eaux des Ter-Llobregat) et nous constatons qu'ils ont
la même position que celle des dirigeants de CIU. Ce qu'ils nous
disent est qu'ils ont les mêmes demandes que celles du Gouvernement
de la Generalitat et ils nous demandent à voir le Rhône.
Il est vrai que Maragall, qui connait très bien le projet, ne
s'est pas prononcé clairement, mais les maires socialistes, qui
sont ceux qui gèrent les citadins, ont montré leur intérêt.
Mais nous ne prenons parti ni pour les uns, ni pour les autres.
"Le
Gouvernement espagnol nous a consulté"
- Comment estimez-vous
la disposition annexe neuvième introduite par le CIU dans le
PHN, qui fait référence à l'étude de transferts
alternatifs à celui de l'Ebre, et qui, selon l'opposition, serait
seulement une opération d'image pour justifier l'appui du CIU
au projet du Gouvernement ?
- Cette disposition
nous a permis d'entrer en contact avec le Ministre de l'Environnement.
Elle a réellement eut un effet. Ce que je constate est que le
Gouvernement espagnol nous a consulté pour étudier et
essayer d'assimiler notre projet de transvasement dans le cadre du PHN,
qui, à son tour, décide du transfert de l'Ebre. Je crois
que c'est une disposition qui peut être déterminante.
- Comment serait
financé le projet du Rhône ? BRL possède du capital
public et privé. Vous recevriez des aides et des subventions
des institutions européennes ?
- Le projet peut
être financé par des fonds européens et privés,
ou seulement par la banque privée. Nous aurions des entreprises
disposées à entrer dans l'opération. Nous avons
des contacts avec la Banque Européenne de Placements, qui a co-financé
50% des études économiques et financières sur le
projet. Nous comptons également avec la participation de la Caisse
de Catalogne (Caix de Catalunya) et la Caisse des Dépôts
et Consignations française. Il n'y aura pas de problèmes,
pour autant, à être une entreprise à capital mixte.
- Des collectifs,
comme les agriculteurs des Pyrénnées Orientales, se sont
montrés opposés au transfert. BRL mettrait des conditions
sur l'utilisation de l'eau ?
-
La concurrence des agriculteurs français et espagnols ne porte
pas sur la question de l'eau, mais sur le meilleur coût de personnel,
en ce qui concerne la partie française. Actuellement, l'eau,
qui serait, peut-être, plus chère, est destinée
à la zone de Barcelone, pour sa population et pour le développement
de son industrie, pour l'économie catalane.
(Cette traduction
ERN n'a pas valeur de document officiel
et ne saurait engager notre responsabilité de quelque manière
que ce soit.)