POLITIQUE
: LE PROJET PREND COMME REFERENCE LA CALIFORNIE
SANS TENIR COMPTE DU CLIMAT LOCAL
De
hauts fonctionnaires français jugent le transvasement du Rhône
comme inutile et non viable
Ils estiment que le Gouvernement Catalan n'utilise pas d'autres sources
d'approvisionnement, comme le barrage de Rialb, pour des raisons électoralistes
MANEL
MANCHON
BARCELONE - Corruption
intellectuelle, incompétence et aveuglement. Voici quelques qualificatifs
que des hauts fonctionnaires et experts français décernent
aux politiques catalans et espagnols qui continuent à parier
sur les transvasements pour solutionner des problèmes d'approvisionnement
en eau, qui, en réalité, n'existent pas. Tous les chercheurs
consultés jugent comme "inutile et non viable" le transfert
du Rhône que réclame le Gouvernement de la Generalitat.
En France, toute
décision du Gouvernement concernant d'importantes infrastructures
doit passer par la Commission de Débat Public, dans laquelle
se trouvent d'importants chercheurs et experts. Michel Drain, chercheur
émérite de l'Université de Marseille et ex-membre
du Conseil Scientifique de la BRL, l'entreprise française intéressée
par la vente de l'eau du Rhône, considère qu'il n'y a "aucune
nécessité" pour mettre en marche un projet digne
des siècles passés.
Le Conseiller en
Chef Artur Mas a présenté, il y a quelques semaines, le
projet de transfert du Rhône, qui coûterait 4 761 milllions
d'euros, mille de plus que celui de l'Ebre, tout en avertissant le gouvernement
espagnol que ce projet sera une exigence absolue de son parti CIU (Convergencia
Y Unio), s'il a besoin un jour de ses votes. Il l'a présenté
comme un complément du PHN, en assurant que le transvasement
de l'Ebre ne garantit pas la fourniture d'eau durant les 12 mois de
l'année. A. Mas a admis que le transfert du Rhône implique,
premièrement, que le Gouvernement espagnol l'accepte et, deuxièmement,
que celui-ci le demande auprès du Gouvernement français.
Roberto Epple, directeur-fondateur
de European Rivers Network (ERN), un réseau implanté dans
toute l'Europe, insiste sur le fait que le problème est la faillite
d'un modèle de développement. Il affirme que les autorités
espagnoles et catalanes prennent comme référence la Californie,
sans tenir compte des nécessités réelles et du
climat local.
Le germe de la
globalisation de l'eau
La consommation
d'eau est très inégale en Catalogne. Les données
des différents chercheurs français ainsi que des collectifs
en Catalogne, comme Ecologistes en action, les membres de la Plateforme
d'Opposition aux Transvasements (POT), montrent qu'il n'y aura pas d'augmentation
de la consommation dans les prochaines années. Ce qui est en
train de se produire, assurent-ils, c'est que si l'on offre plus d'eau,
on finira par en consommer plus. Il s'agit d'une politique d'offre,
mais qui ne répond pas à une véritable nécessité
ni à un manque d'eau.
Ainsi, dans des
municipalités comme Badalona ou el Prat, dans la zone métropolitaine,
la consommation s'élève à 114 litres d'eau par
habitant et par jour. Ce chiffre explose dans les régions, dans
el Vallès, avec 220 litres, ou dans el Garraf, avec 361. Roberto
Epple, de European Rivers Network, maintient que ceci est la première
fraude. "Avec le transvasement du Rhône, il s'agit d'offrir
de l'eau pour forcer à en consommer plus, au bénéfice
des entreprises privées".
Epple fait référence à d'autres études d'experts
espagnols, comme celles de Pedro Arrojo, de l'Université de Saragosse.
Arrojo soutient que la possible aide de l'Union Européenne ne
pourrait être considérée comme une "solidarité
européenne", mais plutôt comme l'utilisation de "ressources
publiques au service de spéculateurs privés".
L'association catalane Ecologistes en Action insiste sur le fait que
la consommation d'ordre privé est plus élevée hors
de la zone urbaine car il existe un modèle social qui désire
copier des schémas de développement situés dans
d'autres endroits de la planète et qui ne sont pas propres à
l'arc Méditerranéen. La responsable des projets hydrauliques,
Maria Lloberes, met le doigt sur la nécessité de mettre
à profit l'eau des nappes phréatiques et des stations
d'épuration. " Les bassins récepteurs, du point de
vue écologique, subiraient un déséquilibre avec
les transvasements, mis à part le fait que l'eau du Rhône,
selon diverses études, ne soit pas de bonne qualité car
on y a trouvé des restes de plomb, de cuivre et de chrome. De
plus, au cas où les transvasements seraient réalisés,
on ne pourrait plus mettre à profit les aquifères".
Une autre information, apportée par Ecologistes en Action, est
que les stations d'épuration recueillent jusqu'à 500 hm3,
dont seulement 6 sont réutilisés.
Le conseiller en chef, Artur Mas, a visité récemment les
Terres de l'Ebre pour convaincre les membres de la Plateforme de Défense
de l'Ebre, animée par Manolo Tomàs, que la solution passe
par le transvasement du Rhône. Mais le mouvement contre le transvasement
de l'Ebre s'est amplifié. Il s'agit d'engendrer une "nouvelle
culture de l'eau". C'est pour cela que s'est constituée
la Xarxa per una Nova Cultura de l'Aigua (le Réseau pour une
Nouvelle Culture de l'Eau) qui se base sur trois axes : le manque de
rigueur pour établir dans le PHN un déficit de 300 hm3
par an pour les vallées internes de Catalogne ; la mauvaise qualité
des eaux de l'Ebre et du Rhône et l'augmentation du prix de l'eau.
D'autre part, le
Conseiller de l'Environnement, Ramon Espadaler, expliquera mercredi
au Parlement le transfert du Rhône.
Une opération
redondante pour la B.R.L.
Le projet de transfert
de l'eau du Rhône, qui arriverait jusqu'à Cardedeu, fit
son apparition en 1994 lors de sa proposition par un ingénieur
de Agbar (Aguas de Barcelona), juste au moment où se discutait
l'avant-projet du ministre socialiste Josep Borrell, qui prévoyait
de recourrir à l'eau de l'Ebre pour les bassins internes (de
Catalogne).
C'était alors une question entre entreprises productrices d'eau.
Du côté Catalan, il s'agit de Aigues Ter Llobregat (ATLL),
et du côté français, de la compagnie du Bas Rhône
et Languedoc (BRL). ATLL redoutait un déficit d'eau durant les
mois de saison sèche, même si, selon Michel Drain, son
grand problème est la qualité de l'eau. La solution passait
par transvaser l'eau du Rhône, à plus de 300 kms de distance.
On estimait que l'eau serait moins chère, puisque les ouvrages
obtiendraient l'aide de l'Europe, en couvrant jusqu'à 60% du
coût.
L'entreprise française
fut créée en 1955. Le gouvernement français lui
concéda pour une période de 85 ans un droit d'eau de 75
m3/s (le débit de la Seine à Paris en été)
pour irriguer la région du Languedoc. Mais la BRL utilise seulment
15% de ce total. A la fin des années 90, l'entreprise entra en
crise et se transforma en holding, dont la filiale la plus importante
est la SAUR, avec 49% du capital. SAUR dépend du groupe Buyguesn
(Bouygues), une des plus grandes sociétés mondiales de
construction. Selon M. Drain, "le premier bétonneur d'Europe".
Aussi bien que pour ATLL et BRL, le transfert d'eau serait une opération
redondante.