A
la UNE
Mars
2014
Le
barrage de Mesochora en Grèce ne sera jamais mise
en eau !
Le
fleuve Acheloos coulera librement sous le barrage...
Un
combat soutenu par ERN depuis 1994
Les
défenseurs du fleuve Achéloos bataillaient
depuis vingt ans pour sa sauvegarde. Ils viennent d'emporter
une victoire qualifiée d'historique : le Conseil
d'Etat grec vient de mettre un terme au très controversé
projet de dérivation du plus long fleuve du pays.
Les juges estiment qu'il viole le principe de développement
durable inscrit dans la Constitution et qu'il doit à
ce titre être abandonné.
Achevé
en 1997, le barrage de Mesochora, en Thessalie, na
jamais été mis en eau grâce à
la mobilisation des habitants.
Barrage
de Mesochora, vue de l'aval, 2014, Copyright Roberto Epple
«
C'est la première fois en Europe qu'une cour se
réfère au principe de développement
durable pour mettre fin à un projet qui constitue
une véritable catastrophe écologique »,
se félicite Théodota Nantsou, du Fonds mondial
pour la nature (WWF). Depuis plus de vingt ans, WWF, Greenpeace,
mais aussi la Société hellénique
de protection de l'environnement luttaient par tous les
moyens possibles manifestations, concerts, recours
en justice pour empêcher le détournement
prévu de 600 millions de mètres cubes d'eau
par an vers les plaines agricoles de Thessalie.
Le
fleuve Achéloos, surnommé le « fleuve
blanc », prend sa source dans le massif montagneux
du Pinde, au nord-ouest du pays, et s'écoule sur
220 kilomètres jusqu'à la mer Ionienne,
dans l'une des régions les plus sauvages de Grèce.
L'une des plus préservées aussi, dont plusieurs
sites sont classés dans le réseau européen
Natura 2000. Le delta de Missolonghi, où le fleuve
se jette dans la mer, est l'un des dix sites grecs protégés
par la convention de Ramsar sur les zones humides (1971)
et abrite des espèces d'oiseaux protégées
par une directive européenne.
Acheloos River coule librement en aval du barrage, 2014,
Copyright Roberto Epple
«
NAPPES PHRÉATIQUES SALINISÉES DEVENUES INEXPLOITABLES
»
Plus
à l'est, de l'autre coté des monts du Pinde,
se situe la plaine de Thessalie : 80 % du coton européen
est produit dans ces vastes champs, soit plus de 230 000
tonnes chaque année. Une culture particulièrement
gourmande en eau et qui a modifié en profondeur
les ressources hydrauliques de la région. «
Pendant soixante ans, les agriculteurs ont pompé
sans aucune retenue. A grands coups de canons à
eau. Les lacs naturels se sont asséchés,
les nappes phréatiques se sont salinisées
ou sont devenues inexploitables, car contaminées
par les pesticides utilisés pour protéger
les plants de coton, très fragiles », soutient
Théodora Nantsou.
Le
président de l'Association grecque du coton, Apostolos
Dondas, reconnaît que les pratiques d'irrigation
ont longtemps été problématiques,
mais affirme « que tout a radicalement changé
depuis dix ans. Nous sommes tous passés au goutte-à-goutte
et nous nous montrons beaucoup plus respectueux de la
ressource, en essayant de limiter l'évaporation
liée au soleil, par exemple ».
Face
à ces problèmes d'approvisionnement en eau
de la Thessalie, les autorités grecques ont, dès
le milieu des années 1980, ressorti des cartons
le projet de dérivation du fleuve Achéloos,
qui remontait aux années 1930. Pas moins de quatre
barrages et lacs de retenue en plusieurs points du fleuve,
associés à deux tunnels et un canal de dérivation
d'environ 18 km, ont ainsi été entrepris
dès 1990.
Mais
une vaste campagne européenne, lancée en
1992 par des dizaines d'associations de protection de
l'environnement, a débouché en 1994 sur
le refus de l'Union européenne de financer le projet.
S'en est suivie une longue bataille judiciaire. Des dizaines
de décisions de justice ont conclu à l'abandon
du projet, sans que jamais les travaux soient réellement
stoppés par le gouvernement grec.
Un
barrage de 135 mètres a ainsi été
achevé en 1997 à proximité du village
de Mesochora : il attend depuis sa mise en eau. La mobilisation
des habitants, qui refusent de quitter leurs maisons,
vouées à disparaître sous l'eau, a
de fait empêché toute inauguration de l'ouvrage.
Ce que le président de l'Association grecque du
coton regrette. « La Grèce a déjà
dépensé plus de 340 millions d'euros pour
ces grands travaux et on ne peut pas les utiliser ? C'est
de l'argent jeté par les fenêtres !, s'indigne
M. Dondas. Je ne comprends pas la décision du Conseil
d'Etat. Nous avons besoin de cette eau pour survivre.
Que représentent quelques oiseaux rares et leurs
nids face à l'avenir de nos enfants ? Notre pays
doit créer de la richesse pour rembourser ses dettes
et l'agriculture doit devenir un secteur prioritaire.
»
«
DÉTOURNER LE COURS DU FLEUVE POUR UNE PLANTE VOUÉE
À DISPARAÎTRE »
Pour
Théodota Nantsou, « les politiques n'ont
jamais osé proposer des solutions alternatives
à ces agriculteurs, qui sont une clientèle
électorale à bichonner, et personne n'ose
leur dire que, de toute façon, le coton grec est
fini. Il ne peut pas être compétitif avec
le coton turc ou égyptien ! »
De
fait, depuis l'effondrement de l'industrie textile grecque,
le coton de Thessalie est principalement voué à
l'exportation dans un marché mondial ultracompétitif,
où les prix se sont contractés ces dernières
années. « La culture du coton grecque ne
survit depuis des décennies que grâce aux
subventions européennes, mais ça change,
et je ne vois donc pas pourquoi il faudrait détourner
le cours d'un fleuve qui remonte à l'Antiquité
pour alimenter une plante vouée à disparaître
», affirme Théodota Nantsou.
En
réalité, la Politique agricole commune européenne
(PAC) prévoit encore des subventions pour le coton
grec pour la période 2014-2020, conformément
aux engagements du traité d'adhésion de
la Grèce. Mais les producteurs de Thessalie devront
désormais chercher ailleurs l'eau dont ils ont
besoin. « Nous allons être vigilants dans
les prochains mois et vérifier que le nouveau plan
de gestion des eaux pour la Thessalie, que doit remettre
le ministère de l'environnement, respectera bien
la volonté du Conseil d'Etat et n'utilisera pas
une astuce juridique pour remettre au programme de manière
détournée les travaux sur l'Achéloos
», prévient Théodota Nantsou.
Le
porte-parole du ministère de l'environnement, Thodoris
Karaoulanis, affirme que les travaux liés à
la gestion des ressources en eau en Thessalie seront planifiés
en accord avec les études environnementales réalisées.
« Nous attendions la décision du Conseil
d'Etat pour nous prononcer », assure-t-il. Les défenseurs
du fleuve attendent donc encore la traduction politique
de l'injonction juridique d'abandonner ce projet. C'est
seulement après qu'ils soulèveront la question
de la réhabilitation des sites défigurés
par les travaux. Une autre longue bataille en perspective.
Source:
Texte ERN avec des extraits d'un article du Monde (Adea
Guillot)
back to the RiverNet Homepage
These
pages and their content are © Copyright of European
Rivers Network.