LE PLAN HYDROLOGIQUE NATIONAL ESPAGNOL
INTERVIEW
DE PEDRO ARROJO |
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GESTION DE L'EAU COMPAREE EN ESPAGNE ET CALIFORNIE " Pedro Arrojo est docteur en sciences physiques. Il est également professeur du Département d'Analyses Economiques de l'Université de Saragosse. Centrant ses travaux d'études et de recherche sur l'économie des ressources naturelles, il est aujourd'hui un des rares spécialistes universitaires en matière de gestion de l'eau dans le cadre des sciences économiques. Il a publié des articles et des travaux dans lesquels il compare la réalité des relations avec l'eau de la Californie et de l'Espagne. - Pouvez-vous nous expliquer les similitudes et les différences hydrologiques entre la Californie et l'Etat espagnol ? - En fait, la Californie et
l'Espagne ont de nombreuses analogies significatives, tant sur les aspects
climatiques que dans leur histoire en matière hydrologique, et
ce, durant une grande partie du XXe siècle. Elles ont une superficie
équivalente, avec un climat à prédominance méditerranéen
sur la majeure partie du territoire, même si le nord est plus humide.
La moyenne pluviométrique est un peu supérieure en Espagne,
672 l/m², contre 584 l/m² en Californie, ce qui donne un débit
total renouvelable légèrement supérieur en Espagne
: 104 805 hm3/an contre 95 405 hm3/an en Californie (en incluant les grandes
retenues du Colorado). Dans les deux cas, 80% sont accaparés par
l'irrigation, laissant 20% pour les utilisations urbaines et industrielles. La principale différence
réside dans le formidable déséquilibre de peuplement
que crée en Californie l'hyperpopulation de la région de
Los Angeles-San Diego, avec plus de 50 % des habitants et seulement 20
% des ressources hydriques renouvelables. Ceci entraîne une situation
territoriale plus tendue et "non-durable" que celle existant
en Espagne. - La Californie a modifié sa politique hydrologique. Quels changements et pourquoi ? - Les changements ne se produisent
pas seulement en Californie, mais aussi dans l'ensemble des Etats-Unis.
A la fin des années 60, il s'est amorcé un mouvement critique
qui portait sur les grands projets hydrauliques (localisés principalement
dans les Etats de l'Ouest) et qui se basait sur des raisons économiques.
La subvention publique attribuée systématiquement pour les
grands barrages et transferts d'eau avait développé des
processus de corruption administrative au bénéfice des grandes
compagnies d'électricité et de construction. C'est ainsi
que fut popularisée l'expression "Pork Barrel" ("le
tonneau des cochons", cf. n'importe quel dictionnaire d'anglais nord-américain,
comme le Webster), pour définir la répartition des fonds
publics qui finançaient ces ouvrages. Dans les années 70,
grandit d'autre part la conscience environnementaliste américaine,
encerclant ainsi d'une critique tenace, à la fois économique
et écologiste, cette logique structurée sur la subvention
publique. - En quoi les expériences californiennes et espagnoles sont-elles liées ? L'Espagne reproduit depuis
1994 le débat qui a eut lieu aux USA, et particulièrement
en Californie, entre la fin des années 60 et le début des
années 80. Depuis ces dates, il ne s'est construit en Californie
pas une seule retenue, ni ne s'est réalisé aucun de ces
transferts annoncés dans les années 70 comme imminents.
Ne sont prévus pour l'avenir que deux nouveaux barrages d'envergure,
dont la construction, soumise à de fortes contreverses, est en
fait incertaine. Par contre, les plans de modernisation, de gestion de
la demande et d'économie, génèrent d'importantes
marges de manoeuvre compatibles avec le développement accéléré
de la bouillante économie californienne, et ceci pour les 2 prochaines
décennies. - Le PHN est-il compatible avec la prétention de prendre modèle sur la Californie, comme dit vouloir le faire le conseiller Puig ? - Je ne connais pas ce que le conseiller Puig présente concrètement comme s'appuyant sur l'exemple californien, mais ce que je peux affirmer est que le mode actuel de gestion en Californie est radicalement différent de celui qui inspire le PHN. Peut-être le conseiller voit-il dans les grands transferts d'eau, du Colorado jusqu'à la zone de Los Angeles, un exemple à suivre. Si c'est le cas, quelqu'un devrait lui expliquer qu'aujourd'hui ces grands ouvrages du passé sont considérés comme d'énormes erreurs qu'il ne faut plus commettre. Peu de gens défendraient maintenant aux Etats-Unis ces barrages s'il n'avaient pas été déjà réalisés. Aujourd'hui en Californie, et dans l'ensemble du pays, on a compris les terribles impacts que ces ouvrages ont fait subir aux deltas et aux estuaires (dans le cas du Colorado, il faut ajouter à la ruine du delta et de sa plaine, celle des pêcheries de la Mer dite de Cortès), à la santé des rivières, à la qualité de vie de la société et également à l'économie globale du pays. Voici comme référence une partie du discours prononcé devant la Commission Mondiale des Grands Barrages à Durban (Afrique du Sud) au début des années 90, par M. Daniel P. BEARD, directeur du Bureau des Réclamations, sans doute la plus prestigieuse des institutions de l'eau nord-américaine, justement responsable de la construction de ces grands ouvrages hydrauliques en Californie et le reste des USA : "Le Bureau des Réclamations
des Etats-Unis (BREU) fut créé comme organisme de construction
d'ouvrages publics hydrauliques. Les résultats de notre travail
sont bien connus : les barrages Hoover, Glen Canyon, Grand Coulee, et
d'autres, furent des réalisations monumentales qui sont des motifs
d'orgueil pour notre pays et nos employés. Cependant, ces 2 dernières
années, nous sommes arrivés à la conclusion que nous
devons modifier de façon significative le programme du Bureau.
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