LE PLAN HYDROLOGIQUE NATIONAL

  • RELANCE ENVOYEE PAR LA COMMISSION EUROPEENNE
    LE 19 DECEMBRE 2002 AU GOUVERNEMENT ESPAGNOL
 

(Traduction : Valérie Valette /ERN)

COMMISSION EUROPEENNE - DIRECTION GENERALE - ENVIRONNEMENT

De la Directrice Générale

Bruxelles, le 19 décembre 2002

Monsieur l'Ambassadeur,

Je souhaiterai vous rappeler que les autorités de votre pays savent, par la correspondance précédente, que la Commission a reçu un grand nombre de plaintes, tant d'ONGs que de citoyens, ainsi que diverses demandes et pétitions du Parlement Européen, sur le Plan Hydrologique National Espagnol (PHN). Toutes ces demandes parlementaires, pétitions et plaintes posent la question de savoir si le Plan, et en particulier le transvasement de l'Ebre, remplit les exigences de la politique et de la législation environnementale européenne existante.

La Commission se doit de donner suite à ces plaintes dans un temps raisonnable et d'informer le Comité des Pétitions du Parlement Européen, en référence aux pétitions portant sur ce cas. La Commission n'a pas encore pris de position formelle sur la conformité de l'exécution du PHN avec la législation communautaire, étant donné que pour cela, elle manque d'informations complémentaires
. Les autorités espagnoles ont apporté une grande aide, en fournissant des réponses ponctuelles et détaillées à nos demandes et je souhaiterai signaler que nous apprécions l'esprit de coopération qui a caractérisé nos échanges.
La finalité de cette lettre est d'exprimer les points sur lesquels la Direction Générale de l'Environnement considère qu'il existe des motifs de préoccupation sur le respect de la législation communautaire, et d'inviter également les autorités espagnoles à fournir une information supplémentaire spécifique à ce sujet.

Antécédents
:

La Commission a ouvert en octobre 2000 une enquête de bureau, référence 2000/2241, à la vue des réactions de la presse et de la société civile en Espagne, au motif de la préparation de l'ébauche du PHN par le Ministère de l'Environnement. La Commission a envoyé aux autorités espagnoles une première lettre en date du 6 octobre 2000, alors que le PHN était encore une ébauche. Dans cette lettre, les services de la Commission informaient les autorités espagnoles de leur préoccupation sur le respect, par le Plan et ses projets associés, de la législation communautaire suivante :


- Directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979, relative à la conservation des oiseaux sylvestres,

- Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, relative à la conservation des habitats naturels et de la faune et flore sylvestres,

- Directive 85/337/EEC du Conseil du 27 juin 1985, relative à l'évaluation des répercussions de projets publics et privés sur le milieu ambiant, modifiée par la Directive 97/11/EC du Conseil du 3 mars 1997.

Il était également signalé aux autorités espagnoles les conséquences du non-respect de la législation communautaire, par rapport à une possible sollicitation de co-financement communautaire. A cette date-là, étant donné que la Directive Cadre de l'eau n'était pas en vigueur, il n'est pas fait référence à celle-ci dans la lettre mentionnée.

Les autorités espagnoles ont répondu à la Commission Environnement par des lettres en date du 1er décembre 2000, du 15 janvier et du 20 février 2001. Dans celles-ci, elles exprimaient leur engagement à respecter totalement la législation environnementale communitaire applicable, en ce qui concerne le Plan et aussi les projets auxquels celui-ci donnerait lieu dans le futur.

Depuis lors, il a été mené un échange de correspondance éminemment technique, ainsi qu'un certain nombre de contacts avec les autorités espagnoles, en portant un intérêt tout particulier au tansvasement de l'Ebre. Tout ceci a servi à poser aux autorités espagnoles un grand nombre de questions techniques importantes, nécessaires pour une meilleure compréhension du cas.

En date du 3 juillet 2001, la Direction Générale de l'Environnement a envoyé une lettre au Directeur Général des Ouvrages Hydrauliques et de la Qualité des Eaux, du Ministère de l'Environnement espagnol, dans laquelle était indiquée la législation communautaire à relever, incluant la directive 2000/60/EC (directive cadre) qui entretemps était entrée en vigueur, et danq laquelle était sollicité l'éclaircissement d'un nombre important de questions. Les services de la Commission recommandaient également aux autorités espagnoles de suivre les procédures établies dans la directive 2001/42/EC sur l'Etude d'Impact Environnementale Stratégique (E.A.E. Evaluación Ambiental Estratégica).

Par une lettre en date du 14 janvier 2002, le Directeur Général des Ouvrages Hydrauliques et de la Qualité des Eaux, Mr. Alvarez Maqueda, a envoyé à la Commission une copie de l'Etude d'Impact Environnementale Stratégique (EAE) du Plan Hidrológico Nacional. Cette étude, menée à bien de façon volontaire, informe sur la situation de l'eau en Espagne, les transvasements projetés depuis le fleuve Ebre, leurs effets sur le Delta et sur les systèmes récepteurs.

La Direction Générale de l'Environnement a remis à Mr. Alvarez Maqueda une lettre, le 23 mai 2002, qui comprenait une série de demandes de type technique, ainsi que des points à clarifier et des commentaires sur le PHN, incluant le transfert de l'Ebre et l'Etude E.A.E., Mr. Alvarez Maqueda répondit à son tour en date du 23 juillet 2002.

Questions relatives à la législation Communautaire :


La directive cadre de l'eau

La directive 2000/60/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 23 octore 2000, qui entra en vigueur le 22 décembre 2000, établit un cadre communautaire de procédure dans le milieu de la politique des eaux. En décembre 2003, commenceront à prendre effet les obligations spécifiques pour les Etats-membres. Etant donné que la réalisation du PHN portera sur plusieurs années, la directive sera applicable durant une grande partie de sa période d'exécution. Comme indiqué précédemment, la Direction Générale de l'Environnement considère que l'Espagne est déjà dans l'obligation de respecter une série de prévisions de la directive, et il est nécessaire qu'elle soit capable de montrer comment les décisions qui sont prises actuellement seront compatibles avec les dispositions de la directive à mesure que celles-ci deviennent applicables.


(a) Principe de non-détérioration


En général, la "non-détérioration" peut être considérée comme un principe de la législation communautaire que les Etats-membres se doivent de respecter dès l'entrée en vigueur d'une directive, y compris si d'autres obligations s'y retrouvent attachées par la postériorité.

La directive cadre de l'eau comprend plusieurs références au principe de non-détérioration. Le préambule de la directive 2000/60/EC stipule dans l'attendu 19 que "la directive a pour objectif de maintenir et améliorer le milieu aquatique de la Communauté". L'article 1, qui établit l'objet de la directive, indique déjà dans son premier point un objectif de non-détérioration (Art.1.a), réitéré également dans les paragraphes (b) et (c), et pour les eaux souterraines dans le paragraphe (d).

L'article 4, qui définit les objectifs environnementaux de la directive, contient deux mentions au principe de non-détérioration, dans les chapitres 4(1)(a) et 4(1)(b), pour les eaux superficielles et pour les eaux souterraines respectivement.

Il faut prendre en compte que, dans les deux cas, l'objectif de prévention de la détérioration précéde l'objectif d'atteindre un bon état.
Le paragraphe 4(9) stipule que "l'application des nouvelles dispositions, […], garantit comme minimal le même niveau de protection que les normes communautaires en vigueur." Il est important de remarquer que le-dit paragraphe de la directive élimine les possibilités de dérogation du paragraphe 4(7). Cependant, les Etats-membres ne peuvent, en se basant sur le paragraphe 4(7) de la directive, arriver à un niveau de protection plus bas que celui rendu obligatoire par la législation existante sur la qualité des eaux.

Ce principe de non-détérioration est un fondement préalable et de base dans la logique de la directive 2000/60/EC. La prévention de toute ou postérieure détérioration est essentielle à l'intention de la directive, sans préjudice du respect des différentes dispositions relatives aux dérogations.

Beaucoup de mesures de la directive 2000/60/EC requièrent que toutes les obligations existantes, en rapport avec la qualité de l'eau dans la législation pré-existante sur les eaux, doivent être respectées jusqu'à ce que la directive les révoque. En ce qui concerne toutes les eaux couvertes par les "anciennes" directives, le principe de non-détérioration est applicable depuis le 22 décembre 2000.

Pour pouvoir comprendre comment en Espagne est appliquée la clause de non-détérioration de la directive cadre, la Commission vous remercie de clarifier ce point en référence à l'impact du transvasement de l'Ebre proposé (10% du débit total annuel), particulièrement sur l'état chimique et écologique du fleuve Ebre et de son delta.


La Commission est consciente que le PHN exige le développement d'un plan de protection du Delta de l'Ebre. La Commission comprend également que ce plan constituerait un programme intégré pour la protection du delta et qu'il traiterait toutes les menaces et pressions (entre autres, l'impact direct de l'extraction pour le transvasement, la subsidence graduelle du delta due au manque d'apports de sédiments, l'augmentation du niveau de la mer, la mauvaise qualité de l'eau, etc...). Le-dit plan devrait être finalisé à 12 mois de l'approbation du PHN. La Commission vous remercie d'être informée sur l'état de préparation de ce plan de protection et aussi d'avoir la possibilité d'étudier et commenter le plan, quand il sera finalisé.

(b) Gestion intégrée des bassins hydrographiques

La directive cadre de l'eau se base sur le principe de la gestion intégrée des ressources hydriques à l'intérieur d'un bassin hydrographique. La directive prévoit également l'établissement d'une autorité unique compétente et responsable pour chaque bassin (Article 3.2). La Commission prend note que le PHN prévoit l'application du plan de protection du Delta à travers le consortium établi pour développer le-dit plan. La Commission désirerait recevoir de l'information sur les relations qui existeront entre les autorités responsables pour la protection du delta et les autorités responsables du reste du "bassin de l'Ebre". Selon l'opinion de la Commission, il serait nécessaire de gérer la totalité du bassin hydrographique de façon intégrée, en y incluant le delta.


(c) Analyse économique et récupération des coûts

La directive cadre de l'eau exige, entre autres commandements, que pour chaque bassin hydrographique une analyse économique soit menée à bien (Article 5.1), en accord avec les indications apportées dans son annexe III. L'article 9 de la directive traite la question de la récupération des coûts et du prix de l'eau. La Commission désirerait s'assurer que les analyses économiques qui appuient le transvasement de l'Ebre sont compatibles avec les exigences de la directive, tant pour le bassin de l'Ebre que pour les bassins hydrographiques dans lesquels il est projeté de transvaser l'eau.

En ce qui concerne ces analyses économiques et la récupération des coûts, nous apprécierions que soit clarifiée l'information sur les coûts fournis par la lettre de Mr. Alvarez Maqueda, envoyée à la Direction Générale de l'Environnement (paragraphes 12 et 13 et annexes respectives) en date du 23 juillet 2002. En particulier, puisque le transvasement Tajo-Segura présente une méthodologie analytique, nous désirerions voir cette méthodologie appliquée au cas du transfert de l'Ebre proposé.

Plus concrétement, l'analyse doit étudier l'effet de différents volumes d'eau transvasées sur les coûts finaux (en considérant les coûts d'infrastructures, les charges fixes et les charges variables de l'opération). Cette information permettra de comparer de façon plus adéquate les différentes alternatives de solutions proposées. La lettre de Mr. Alvárez Maqueda (paragraphe 13) suggère que d'autres projections ont été réalisées. Nous serions très reconnaissants d'être informés des résultats.

Directives de Protection de la Nature, 79/409/EEC "Oiseaux" et 92/43/EEC "Habitats"

L'article 6 de la directive 92/43/EEC du Conseil, en particulier ses paragraphes 2, 3 et 4, est applicable aux plans et projets qui affectent notablement des lieux Natura 2000. L'article 7 de la directive indique que ces exigences sont également applicables aux Zones de Protection Spéciale pour les Oiseaux (ZEPO), désignées dans la directive
79/409/EEC du Conseil du 2 avril 1979, sur la conservation des oiseaux sylvestres.

Nous considérons que les exigences de l'article 6 de la directive 92/43/EEC sont applicables aux grands projets, comme celui du transvasement de l'Ebre, en particulier pour ses implications dans le delta. Une évaluation des impacts environnementaux du transvasement de l'Ebre devrait, par conséquent, être réalisée. Au cas où il serait prévisible qu'un impact notable se produise, les étapes suivantes de l'article 6, paragraphes 3 et 4 dela directive 92/43/EEC, sont applicables : estimation et absence de solutions alternatives, raisons impérieuses d'intérêt public de premier ordre, mesures compensatrices et, si nécessaire, consultation de la Commission.

Dans ce contexte, il est important de s'assurer que le transfert d'eau depuis le fleuve Ebre, ne provoque pas d'impact négatif notable dans le Bas Ebre et dans le delta de l'Ebre, entraînant une dégradation de l'habitat (le delta de l'Ebre est une zone référencée par la Convention RAMSAR) ainsi qu'une menace possible pour la flore et la faune.


En ce qui concerne la nécessité d'évaluer des solutions alternatives, la Commission apprécierait de recevoir plus d'information sur comment ont été prises en compte des options comme : économie d'eau, banques d'eau, techniques d'irrigation plus efficaces, et dessalinisation.

Finalement, pour ce qui concerne les directives Habitats et Oiseaux, nous désirerions aussi savoir quelles autres zones, appartenant ou susceptibles d'intégrer le réseau Natura 2000, pourraient se voir affectées par le tracé et la construction des ouvrages du transfert de l'Ebre.

Suite aux informations fournies par les autorités espagnoles en date du 23 juillet 2002, les ouvrages directement liés au transfert de l'Ebre (canalisations) affecteraient uniquement quatre sites appartenant au réseau Natura 2000. A ce sujet, il existe une grande divergence entre ce chiffre et celui présenté dans l'argumentation des plaintes et pétitions. Par conséquent, la Commission désirerait qu'il lui soit confirmé quel serait l'impact général sur le réseau Natura 2000. Sur ce point, il est également important de connaître vos plans, dans le cas où il y en ait, pour compenser la perte des habitats par la désignation ou la restauration d'autres habitats importants.

La directive d'Etude d'Impact Environnementale

Selon ce qui établit par la directive 85/337/EEC, du 27 juin 1985, et sa modification postérieure, il est demandé de réaliser une étude d'impact environnementale sur les ouvrages de transfert de ressources hydriques entre bassins hydrographiques, dans laquelle l'objectif de ce transfert soit d'éviter une possible pénurie d'eau et que la quantité d'eau transvasée soit supérieure à 100 millions de mètres cubes/an (Annexe I, point 12 a). Ceci signifie que le transvasement de l'Ebre et autres projets prévus dans l'annexe II de la loi du PHN doivent être soumis à des Etudes d'Impact Environnementales. Pour ce motif, nous désirerions connaître où en sont ces études.


La Commission a pris note que, selon ce qui est établi dans l'article 15 de la loi 10/2001, les autorités espagnoles se sont engagées à réaliser une étude d'ensemble, commune à tous les ouvrages liés aux transferts prévus. La Commission assume qu'avec cette prévision, une estimation commune d'impact environnemental du transvasement de l'Ebre sera menée à bien, et souhaite pouvoir recevoir confirmation de ceci, ainsi que des détails de la-dite estimation, et la date probable de sa finalisation.

En accord avec l'information reçue par les services de la Commission, il semble que les premières étapes d'une procédure formelle d'étude d'impact environnementale, comme établie selon la directive 85/337/EEC, aient déjà commencé.

La Commission comprend que réaliser cette étude demande un certain temps, pour cette raison, elle souhaiterait être informée sur l'état, l'avancement et la procédure de l'étude d'impact environnementale du transfert de l'Ebre, étant donné que c'est une question de grande importance pour permettre à la Commission de terminer sa propre évaluation.

Observations finales :

En ce qui concerne d'autres études et rapports qui, actuellement, sont en cours de préparation, (Plan de Protection pour le Delta de l'Ebre, Etude d'Impact Environnemental pour le transfert de l'Ebre, etc...), il serait de grande aide de pouvoir recevoir leurs résultats aussi rapidement que possible, dès qu'ils seront disponibles. De plus, la Commission a bien compris qu'un document su une étude réalisée par une équipe d'experts des Etats-Unis, pris en charge par l'Université de Cartagena, sera disponible avant la fin de l'année. La Commission apprécierait beaucoup si les autorités espagnoles pouvaient transmettre cette documentation.


Au vu de la complexité de ce sujet, nous aimerions vous suggérer de fixer une réunion de haut niveau qui pourrait se tenir à Madrid, durant la première ou la seconde quinzaine de janvier. Nous vous remercions de nous confirmer que cette conclusion convient aux autorités espagnoles.

Je profite de l'occasion, Mr l'Ambassadeur, pour vous présenter mes salutations les plus distinguées.

Catherine Day

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